Concha Buika



Il y a dans la vie ces parcours qui semblent tout tracés et que rien ne peut arrêter. Celui de la chanteuse espagnole, d'origine équato-guinéenne en fait parti. Née dans la pauvreté, entre deux révolutions, à la croisée de la culture africaine, du flamenco et du Jazz, Concha Buika impose aujourd'hui tout son talent.

En 1972, le dictateur  Francisco Macias Nguema se proclame président à vie, premier ministre, ministre de la justice et des Finances de la Guinée équatoriale, ancienne colonie espagnol d'Afrique. De nombreux dissident quittent le pays. Le père de Concha Buika est parmi eux. Mathématicien et écrivain farouchement opposé au régime absolutiste, il s’exile à Palma de Majorque aux îles Baléares. Cette même année, Concha née entourée de ses nombreux frères et soeurs dans le quartier le plus pauvre de Palma, le Barrio Chino. Ici se côtoient tant bien que mal prostituées, toxicomanes et artistiques en tout genre fuyant la répression  franquiste. Devant un décor de misère, bien avant que les touristes allemands colonisent les îles Baléares, les plus grands poètes espagnoles, qui se cachent dans les vieux quartiers déshérités, écrivent leurs plus beaux chefs d'oeuvres pour les guitares et les chants gitans.

Après avoir très tôt appris que l'on pouvait survivre n'importe où, Concha Buika quitte sa famille et part chercher du travail à Londres. La fille des quartiers pauvres n'a pas d'argent en poche et ne parle même pas anglais. Du nettoyage des bureaux et des cafés, aux chants de mariages, tout est bon pour gagner sa vie. La future chanteuse obtient un emploi en tant que hôtesse dans un service de téléphone érotique. Le boulot est simple, simuler l'orgasme au téléphone, en chausson et survêtement, s'en jamais quitter des yeux sa série télévisée préférée. Avec ce travail elle se paye sa première guitare et commence à rêver à l'écoute des disques du guitariste de jazz Pat Metheny. De retour à Palma de Majorque Concha Buika commence à jouer avec de petits groupes locaux et transpose naturellement sa culture africaine avec les rythmes envoûtant du flamenco. Aujourd'hui elle l'affirme : "le flamenco appartient à quiconque veut le ressentir et le vivre". Née sous une bonne étoile, la jeune chanteuse se fait remarquer dans les lieux nocturnes de l'île et signe un contrat pour Las Vegas grâce à sa ressemblance, tant vocale que physique, avec la diva Tina Turner !


Dotée d'une voix exceptionnelle, durant dix années la chanteuse va se perfectionner auprès des bandes originales de film et du pianiste jacob Sureda, avant de publier son premier album Buika en 2005. Mi Nina Lola, hommage à sa grand mère africaine, le succède très rapidement et est couronné de succès. Très bien entourée, la voix de Concha Buika est sublimée avec poésie et radicalité. L'album disque d'or en Espagne remporte le Latin Grammy Awards.


Le succès est tonitruant. En 2008, sort Nina de FuegoLa chanson populaire des années 1930 de Concha Piquer et de Charles Aznavour est remise au goût du jour, ainsi que la colpa, musique folklorique espagnol très répandu en Amérique latine. Puis après une tournée mondiale et une réussite éclatante, Concha Buika fait une fois encore sensation avec un hommage au célèbre chanteur mexicain Chavela Vargas et au pianiste cubain Bedo Valdes, enregistré en live à cuba avec le quartet de Chucho Valdes.




Le réalisateur Pedro Almodovar a misé sur la voix envoûtante de Concha Buika pour une sublime reprise de Petite Fleurede Sydney Bechet, dans son nouveau chef d'oeuvre, La piel que habito. Preuve d'une reconnaissance accrue de la part du monde artistique pour la chanteuse.


Ecouter : Deezer Concha Buika & Jacob Sureda


Par Mathieu Beaufrère

Mario Canonge


Il y eu le temps des grands maîtres Marius Cultier, dont l'apport à la culture antillaise demeure immense, et Alain Jean-Marie, qui accompagna les plus grands jazzmen de Chet Baker à Max Roach, puis vint celui de leurs émules... sans conteste le pianiste virtuose Mario Canonge est le premier d'entre eux !

C'est sur le vieux piano de sa grand mère, chez laquelle il vit, que Mario Canonge débute tardivement l'apprentissage de la musique avant d'accompagner la chorale dominicale d'une petite commune du sud de la Martinique. Le piano occupe alors une place prédominante et toute la famille joue de la musique. Plutôt doué, à 19 ans le jeune homme quitte son île destination la métropole afin d'étudier la musicologie. Les tabourets de bar remplacent rapidement les bancs de la faculté. Le pianiste enchaîne les petits groupes de musiques antillaise, jazz-salsa et jazz-rock. Déjà l’éclectisme est de rigueur. La vingtaine se passe paisiblement lorsque le jeune martiniquais rencontre un autre prodige de sa génération, le guitariste Nguyên Lê. Ce qui semblait n'être que les aventures dilettantes d'un gamin des îles, perdue dans la capitale, apparaît à lauré des années 1990 comme la naissance d'un virtuose accomplie. Dans la foulée, et l'air de rien, Mario remporte le premier prix de piano du festival Jazz à la Défense.


Après de riches collaborations, notamment avec la chanteuse Nicole Croisille, et un retour aux antilles avec le Grand Méchant Zouk, qui réunit tout les grands noms du zouk (Tanya Saint-Val, Dédé St Prix, Marie-Josée Alie, Jacob Desvarieux) le pianiste se lance en solo. Enregistré en seulement trois jours, l'album Retour aux sources remporte la reconnaissance de la profession et un certain succès commercial avec plus de 15.000 exemplaires vendus. Entre 1992 et 1993, le jeune martiniquais fait des merveilles et joue sur plus de 300 scènes européennes et caribéennes.


A la croisée des chemins, Mario Canonge va trouver la clé de son art dans la fusion et le mélange des styles ! Dès lors, la richesse et la diversité des albums du pianiste ouvre grand le champs des collaborations et des combinaisons musicales. Ses albums bien nommés Trait d'union et Arôme caraïbes, explorent les racines martiniquaises et révèlent les plus belles sonorités antillaises à la fois sensuelles et festives. La mazurka, la biguine et le zouk sont fraîchement remis au goût du jour par le talentueux pianiste. Tandis que, avant la publication de Rhizome son album purement jazz pour lequel il s'entoure du saxophoniste Jacques Schwarz-Bart et du trompettiste Roy Hargrove, Mario mêle avec passion jazz, reggae, boléro et zouk dans Chawa. Aux côtés du crooner martiniquais Ralph Thamar, icone de la musique caribéenne, le pianiste se sent pousser des ailes. En 1994 ils enregistrent ensemble un album hommage à Marius Cultier, le maître de la culture antillaise. Le 5 mars un récital est organisé au New Morning et une grande tournée est programmée pour l'été 1995. Les sonorités aux couleurs antillaises du piano s’entremêlent avec les les chansons sucrés de Ralph Thamar comme par magie.



Toujours à cheval entre musique caribéenne et jazz, écumant inlassablement les plus grands festivals, Mario Canonge ne renie rien de ses racines et dédie avec talent et générosité tout son art à des musiques plus proches qu'on ne pourrait le croire !


Ecouter : Deezer Discographie de Mario Canonge
Découvrir : Site Officiel de Mario Canonge

Par Mathieu Beaufrère

Chico Buarque - Essa Moça Tá Diferente


Mais le temps fuit
Mais le temps revient
Elle me détruit
Mais qu'est-ce que ça fait
Que pour moi elle n'ait que du dépit
Qu'elle n'ait que du dédain

Jacques Schwarz-Bart

Qui aurait pu prévoir que Jacques Schwarz-Bart, promis à une brillante carrière politique, commence sur le tard une épopée musicale et s'impose en seulement quelques années comme l'un des jazzman les plus talentueux de sa génération ?



Née en Guadeloupe dans Les Abymes, Jacques Schwarz-Bart découvre très  tôt le Gwoka, musique traditionnelle de l'île ou l'entrelacement des rythmes joués par des tambours a valeur de trésor. Il grandit dans l'univers riche et métissé de ses parents qui se rencontrent à Paris à la fin des années 1950. André Schwarz-Bart termine son livre Le Dernier des Justes (Prix Goncourt 1959) avant d'initier Simone, sa future femme, à l'écriture, décelant en elle le talent d'un grand écrivain.
Les signes étaient avant-coureurs... 

Adolescent, le jeune homme se nourrit d'influences très diverses, de Stevie Wonder à Fela Kuti en passant par John Coltrane, Charlie Parker et Django Reinhardt. En parallèle, il s'applique à rendre une copie idéale. bachelier à 16 ans, Jacques intègre la faculté de Droit Panthéon Assas et sort diplômé de l'Institut d'Etude Politique de Paris. Attaché parlementaire au Sénat, il achète son premier saxophone et sans crier gare plaque tout pour entreprendre son cheminement artistique personnel ! En 1994 il ressort diplômé du très célèbre Berklee College of Music de Boston, qui a la réputation d'être la meilleure école de musique moderne au monde. Jacques Schwarz-Bart, qui ne se refuse rien, vient compléter la liste des élèves prestigieux après Miles Davis, Joey Kramer, Keith Jarrett, Brad Whitford & Quincy Jones. Le jeune saxophoniste est alors une étoile qui monte dont l'étendue artistique demeure insoupçonnable. Sans hésiter un instant, Jacques se rend à New York et s'impose dans une Jam Session face à Roy Hargrove ! Séduit, ce dernier engage le guadeloupéen qui composera le célèbre Forget Regret pour son RH Factor. Au coeur de cette aventure Jacques joue en compagnie de Chucho Valdés à Jazz in Marciac et au Village Vanguard. 


Après de très nombreuses collaborations, "Brother Jacques", comme le surnomment désormais les plus grands, développe ses propres projets et puise dans ses racines, dans ses influences et dans sa culture. Le coup d’essai prend forme avec Inspiration, enregistré en février 2003 à New York. Le coup de maître arrive sans tarder, avec la publication chez Universal de Soné Ka La. Après Un Plat de porcs aux bananes verts, le chef d'oeuvre de la littérature antillaise écrit à quatre mains par ses parents, Jacques Schwarz-
Bart magnifie à son tour ses racines guadeloupéennes. Dans cet album, le saxophoniste revendique sa part de négritude et assemble jazz moderne & gwo-ka sans  omettre les rythmes funky de la caraïbe et le groove new yorkais avec une sensibilité et une efficacité époustouflante ! Jacques Schwarz-Bart aura pris son temps mais à plus de quarante ans il joue dans la cour des grands. 


Se succèdent alors Abyss en 2008, hommage sombre et renversant à son père disparu deux ans plus tôt et Rise Above en 2010. Papa à son tour, Jacques a su trouver dans la voix de sa compagne Stéphanie Mckay un point d'orgue à son oeuvre, sans jamais renier ses racines. Le saxophoniste qui n'en est pourtant pas à sa première collaboration vocale, pour avoir accompagné la chanteuse Erykah Badu, le chanteur Jacob Desvarieux ainsi que la star des caraïbes Admiral T, atteint avec Rise Above un jeux de velours toujours en fusionnant les styles avec passion et talent ! La rappeuse Me'shell Ndegeocello est encore celle qui parle le mieux du prodigieux saxophoniste... « Les sonorités de Jacques me rappellent les cerisiers en fleurs – ses mélodies sont comme des fleurs belles et parfumées, tandis que son groove établit une solide fondation, semblable aux racines profondes d’un tronc d’arbre. Très peu de saxophonistes ont cet équilibre de pure expression et de funk. » Modestement, au terme d'un parcours passionné, avec une sensibilité et une maîtrise artistique surprenante, Jacques Schwarz-Bart n'a donc pas fini de nous émerveiller. 


Ecouter : Deezer Discographie Jacques Schwarz-Bart
Découvrir : Myspace Jacques Schwarz-Bart


Par Mathieu Beaufrère