Cesaria Evora, a diva sem fronteiras

Grâce à elle, le monde entier a appris à situer le Cap-Vert sur une carte. "Cabo Verde", cet archipel de dix petites îles, anciennes colonies portugaises, perdues dans l'océan Atlantique au large de l'Afrique. Pourtant, encore aujourd'hui après son décès en décembre dernier, peu mesurent la véritable ampleur et le talent que possédait la diva.  Car Cesaria Evora était bien plus qu'une simple chanteuse folklorique, popularisée par quelques tubes à vous fendre le coeur. Elle était  le chant des rires et des larmes, Billie Holiday et Ella Fitzgerald réunies sous un même soleil tropical.



Figures anachroniques et tragiques de la musique, Cesaria Evora et Billie Holiday naissent toutes les deux dans une famille pauvre avant de connaitre l'orphelinat et le couvant. La maman cap-verdienne  est une modeste cuisinière à Mindelo, petite ville commerçante de Sao Vicente, tandis que la new-yorkaise survit dans les bordels.  Leurs pères, les guitaristes Justino Da Cruz Evora et Clarence Holiday, écument les bals populaires de l'île et les clubs miteux de Harlem. La misère paraît plus belle au soleil. 

Adolescente, Cesaria Evora rencontre Eduardo, un beau marin  qui l'initie à la musique. Elle débute sa carrière aux fameux Calypso et Café Royal de l'avenue de Lisbonne, des bars de la ville ou les rémunérations se font à coup de grogue, l'alcool des pauvres. Sans le savoir, la diva "dos pés descalços" possède déjà en elle un incroyable talent et marche sur les pas de Billie Holiday. "Lady Day", comme l'a surnommait Lester Young, avait attendu de rencontré l'un des grands amours de sa vie, le saxophoniste Kenneth Hellon, pour chanter dans l'Amérique en crise des années 1930. La vie n'était pas rose mais les clubs, ouverts du soir au matin, offraient une subsistance. L’alcool et la drogue pourvoyaient au reste.

Une enfance aux multiples similitudes, des débuts tout aussi chaotiques précédant le titre qui allait apporter un succès au delà de toutes espérances. En mars 1939, le jeune professeur de lycée Abel Meeropol sous le pseudonyme Lewis Allan, écrit un poème et le propose à Billie Holiday. "Strange Fruit", métaphore du lynchage des noires pendus aux arbres du Sud, fait le succès de la chanteuse.
En 1973, deux ans avant l'indépendance, le révolutionnaire Amilcar Cabral est assassiné. Le Cap-Vert perd son héros national et s'enfouit un peu plus dans la pauvreté et l'alcool. Cesaria est découragée par sa vie de bohème, elle a le "spleen" des mauvais jours. Le sien dure près de dix années ténébreuses ou elle murmure sa mélancolie, sa tristesse et la destinée tragique qui s'étale sous ses pieds dures. "Sôdade", la nostalgie, raisonne dans le coeur des 500 000 cap-verdiens exilés aux quatre coins du monde. 


Pourtant, les multinationales du disque ne facilitent pas l’essor de Cesaria. Ils jugent le physique de la chanteuse disgracieux et peu vendeur. Mais son sale caractère, sa timidité chevillée au corps et son embonpoint certain ne sauraient être un obstacle à cette reconnaissance inespérée. Des grosses mamas à la voix fabuleuse, les producteurs en avaient vu d'autres. Cesaria Evora serait la Ella Fitzgerald de la "morna", cette ballade mélancolique que les esclaves d'Angolas ramenèrent vers le Brésil et le Portugal. Les premiers albums sont enregistrés en studio, Cesaria, qui n'a pas abandonné ses penchants addictifs, est prête à goûter la vie qu'elle pensait ne jamais avoir. Sa carrière explose avec l'album Miss Perfumado et ses 300 000 exemplaires vendus. en 1991, le New Morning lui ouvre ses portes, c'est la consécration. 



Sous son grain de voix fabuleux et ses mélodies mélancoliques, toute la communauté lusophone est entrée en communion avec le reste du monde. Ensemble ils ont vibré à l'écoute de l'une des voix noires les plus exceptionnelles qu'il leurs ait été donné d'entendre. Cesaria Evora, sera pour toujours, plus qu'un mastodonte au coeur abîmé, une diva sans frontières. 


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